Mois #1

Accueillir sa grossesse après la PMA :
quand la fébrilité dépasse la joie d’être enceinte

Mois #1

Accueillir sa grossesse après la PMA :
quand la fébrilité dépasse la joie d’être enceinte

Lorsque l’on découvre sa grossesse après des années d’attente, de stress, d’aller-retours à l’hôpital, d’efforts et de désillusions, on n’accueille pas tout à fait cette nouvelle comme les autres femmes…

Pour vous, le parcours a débuté il y a déjà longtemps. Vous avez découvert votre grossesse sans doute plus tôt que les autres, mais aussi avec une plus grande fébrilité. Les longs mois de doutes, l’enchaînement des événements, le suivi des premiers jours suivant le test positif a peut-être laissé des traces et une certaine anxiété. On évoque ce phénomène avec Déborah Schouhmann-Antonio, thérapeute spécialiste de l’infertilité, du couple et de la sexualité.

Découvrir sa grossesse après un parcours de PMA est une grande nouvelle qui peut être accueillie de manière ambivalente. Que se passe-t-il dans la tête de nombreuses futures mamans passées par cette épreuve ?

Les femmes que je rencontre au cabinet me racontent souvent qu’elles avaient mille scénarios en tête pour le jour où cela arriverait… Mais que, finalement, elles ont accueilli cette grande nouvelle en demi-teinte, qu’elles ne sont pas aussi heureuses qu’elles le pensaient. Parce que, souvent, la joie est dépassée par la peur. Beaucoup d’autres femmes, bien sûr, redoutent la fausse couche qui peut survenir au cours des trois premiers mois. Mais je crois que lorsque l’on passe par la PMA, il y a une telle conscience de la difficulté, que c’est souvent la première image que ces femmes ont : la peur.
Au cours de ce parcours, elles ont traversé ce que j’appelle le « syndrome de la PMA » : ce sont beaucoup d’épreuves et un ressenti qui est en dichotomie totale avec ce que devrait être le fait de vouloir devenir mère ou parent. Lorsque l’on prend la décision de faire un enfant, on projette beaucoup de choses (« je serai peut-être enceinte à Noël ») et puis finalement, non : ce sera plus long, plus compliqué. On a le sentiment qu’on ne maîtrise plus rien.
Si l’annonce de la grossesse après la PMA n’est pas forcément synonyme de joie, c’est aussi sans doute à cause du protocole, qui rend les choses moins légères : après la prise de sang qui détecte une grossesse, il faut en faire une seconde 48 heures plus tard, puis encore une, pour s’assurer que le taux de béta-HCG continue à augmenter. Puis six semaines après le transfert, enfin, l’échographie nous indiquera si le cœur de l’embryon bat… Chacune de ces étapes peut impliquer de l’angoisse.

Que dites-vous à ces femmes qui, justement, ont du mal à se réjouir de la nouvelle de leur grossesse ?

J’essaie de les aider à déculpabiliser. Elles s’en veulent souvent de ne pas être tout à leur bonheur. Jusqu’à parfois interroger leur désir de maternité. Si elles ont besoin de mettre cette grossesse à distance au cours des trois premiers mois, d’être davantage rassurées, c’est normal. Elles doivent savoir que cela n’aura aucune influence sur leur bébé ou sur leur maternité, sur la mère qu’elles seront bientôt.

Comment se rassurer pendant cette période ?

Certaines de mes patientes vont aux urgences, s’inventant un problème, pour passer une échographie dans les premières semaines, pour pouvoir être rassurée : je les comprends. Certains gynécologues qui travaillent en PMA proposent une échographie au bout de 9 semaines, entre celle des 6 semaines (théoriquement l’échographie de datation, qui permet aussi de constater qu’il y a un rythme cardiaque) et celle des 12 semaines (la première échographie officielle). Les femmes qui angoissent particulièrement ne doivent pas hésiter à demander cette écho à leur médecin. En cas de refus, une sage-femme, consultée en ville et équipée d’un échographe, peut tout à fait le faire à sa place. Lorsqu’on passe par la PMA, avoir un entourage particulièrement bienveillant est fondamental.

Après une PMA, le ressenti des symptômes est particulier à cause de la progestérone que les femmes doivent prendre  (…). Il est donc difficile, au début, de se fier aux messages que le corps nous envoie.

Durant cette période, on se raccroche souvent aux symptômes précoces de la grossesse. Sont-ils différents quand on est passée par la PMA ?

Après une PMA, le ressenti des symptômes est particulier à cause de la progestérone que les femmes doivent prendre pendant les trois premiers mois de grossesse. Et qui engendre des symptômes à la fois proches de ceux des règles et de la grossesse. Il est donc difficile, au début, de se fier aux messages que nous envoie notre corps puisqu’ils peuvent être faussés. Cela ajoute forcément à la difficulté à se projeter dans cette grossesse.

Certaines femmes, même après un parcours de PMA très long et un désir d’enfant très fort, n’aiment pas être enceinte, ne se trouvent pas dans l’état de grâce qu’elles avaient peut-être fantasmé… Que leur dites-vous ?

Il y a une vraie pression sociétale à apprécier d’être enceinte. Tout le monde ou presque vous dira que c’est un moment génial. Mais j’ai des patientes qui vomissent pendant neuf mois, qui ont des douleurs atroces, souffrent de diabète gestationnel ou d’hypertension… Et ont le sentiment que leur liberté de vivre est entravée.
D’autres supportent mal la transformation de leur corps. Et culpabilisent de ne pas apprécier ces mois pourtant tant attendus. Mais il faut dissocier ces deux étapes que sont la grossesse et la maternité. On a tendance à croire (et il y a de nombreuses croyances autour de la maternité !) qu’une femme épanouie lorsqu’elle est enceinte sera une maman épanouie. Et, donc, inversement. Mais cela n’a absolument rien à voir.
La grossesse est un moment très particulier. Pas seulement d’un point de vue physique : c’est aussi une étape psychique de retour vers soi, de construction intime et personnelle de la mère que nous pourrions être. Mais il ne faut surtout pas penser que ce que l’on ressent pendant la grossesse présage de ce que l’on ressentira après la naissance pour notre bébé.

De qui s’entourer pendant la grossesse, particulièrement si l’on se sent très angoissée ?

C’est bien entendu très personnel. Certaines femmes ont besoin de faire des choses pour leur corps : acupuncteur, ostéopathe, yoga… D’autres ont besoin de parler. L’essentiel est de faire ce qui nous plaît, de ne pas se contraindre à une quelconque activité ou rencontre sous prétexte que ce serait ainsi mettre toutes les chances de notre côté pour que cette grossesse se passe bien.
Et, c’est aussi sans doute une déformation professionnelle, mais il me semble important de trouver un espace où l’on pourra libérer sa parole et dire son éventuelle culpabilité, ses angoisses, où parler de cette grossesse idéalisée, qui ne se déroule peut-être pas comme on l’avait imaginée.
Cela me semble essentiel, a fortiori dans un monde où tout est noirci ou enjolivé : la grossesse et la femme enceinte parfaites, comme celles que l’on voit dans les magazines, ça n’existe pas. L’image du post-partum tout noir dont on parle beaucoup en ce moment est (heureusement) une exception. La réalité se trouve le plus souvent à mi-chemin. Et il me semble important de pouvoir s’exprimer, de pouvoir poser toutes les questions que l’on se pose.

Déborah Schouhmann-Antonio est thérapeute, conférencière et formatrice, initiatrice de la Journée de l’Infertilité en France et auteure de l’ouvrage “Infertilité : Mon guide vers l’espoir” (ed. Jouvence). Déborah propose des consultations à Paris et à distance. Pour la suivre ou la contacter :  deborahschouhmann.wixsite.com